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Note de l'auteur
Pierre Péladeau fut un personnage mythique.
Comme dans tous les mythes, il y a une partie de vérité et une autre de mirages et de miroirs.
Péladeau le savait et il le disait souvent :"La vie c'est du théâtre! Je suis un acteur et ma scène est le monde des affaires. J'aurais mieux aimé être un vrai acteur, au cinéma par exemple. J'aurais aimé être Marlène Dietrich!"
Je me souviens de cette conversation en particulier, car il m'avait demandé d'augmenter le volume de la radio alors que nous nous dirigions en voiture vers son hélicoptère stationné au Journal de Montréal.
Radio-Canada diffusait une chanson de la vedette allemande et Péladeau chantait avec la radio. Il me raconta ensuite que cette chanteuse-actrice était pour lui l'idole de sa vie. Pierre Péladeau aimait raconter. Il parlait parfois de lui, mais le plus souvent des gens qui l'entouraient. Il n'y avait pas vraiment de terrain secret sauf ses projets d'affaires. Il ne parlait jamais de ses projets d'entreprise avant que ceux-ci ne soient réalisés, mais une fois dévoilés, il ne cessait alors plus de les placer à l'avant-scène afin de convaincre tout le monde que c'étaient les meilleurs!
Marlène Deitrich |
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-Chapitre 2 - Croire en l’immortalité
-Chapitre 4 – Les liens du sang - Pierre-Karl Péladeau
-Chapitre 5 - L’art du combat - Les dirigeants Quebecor
Un rêve d’automne
Le commencement du voyage
C'était un matin d'automne et la température était fraîche. Pierre Péladeau avait plutôt bien dormi, mais il avait fait un rêve étrange. Son père lui avait demandé du pain doré pour le déjeuner et il n'arrivait pas à retrouver la grille pour la placer sur le poêle. Pourtant sa mère, Elmire, était assise à table et elle beurrait sa tranche de pain rôti en regardant le verre de lait, placé devant l'assiette vide de son mari!
Le père de Pierre Péladeau, Henri, est mort un jour d'automne et la faillite de ce dernier avait considérablement réduit le train de vie de la famille. Pierre avait été élevé dans une maison plus confortable que celle de ses voisins et un chauffeur le reconduisait souvent à l'école primaire d'Outremont. Depuis les problèmes financiers, et surtout la maladie, il fallait se rendre à l'école en marchant. Demain, il faudrait se rendre à l'église. La cérémonie funèbre était fixée à 10 heures. Pierre n'avait pas de manteau d'automne et bien qu'il faisait trop froid pour se promener en chemise, il faisait trop chaud pour porter un lourd paletot d'hiver (Henri est décédé le 4 octobre 1935).
Pierre avait fréquenté un garçon de son âge (10 ans) James Wilkinson, un voisin qui habitait dans le même quartier, mais qui était décédé tragiquement l’année précédente d’une pneumonie.
Cette mort avait terriblement attristé Pierre, mais il avait oublié. Elmire avait cependant continué de garder le contact avec la mère de James et quelques jours avant les funérailles de son mari, la dame en question s'était rendue chez Elmire afin d'offrir ses voeux de condoléances. La mère de Pierre avait vaguement mentionné que la cérémonie funèbre causait un problème pour son fils, car il n'avait pas de paletot et elle n'avait pas d'argent pour en acheter un. La cérémonie avait été payée par son beau-frère, qui s'occupait de la famille de Henri depuis sa maladie, mais elle n'avait pas osé lui demander de l'aide pour habiller son plus jeune. James avait été à peu près de la même taille que Pierre. La voisine lui donna le manteau de son fils défunt.
Pierre Péladeau a souvent raconté cette anecdote qu'il disait l'avoir profondément marqué. Parfois, les détails changeaient, mais toujours Pierre mentionnait avoir été très humilié. Avoir dû porter le manteau d’un autre pour les funérailles de son père. Pire encore, il y avait eu à peine une dizaine de personnes qui s'étaient déplacées à l'église pour assister à la messe et à la descente en terre de la dépouille. Aucun des employés de la cour à bois n'était venu. Pourtant, Henri Péladeau avait souvent aidé financièrement ses employés en payant discrètement les factures pour plusieurs familles. Le père de Pierre était un homme généreux. Pourquoi autant d'indifférence envers quelqu'un qui avait été bon pour eux? Souvent, Pierre Péladeau racontait que c'était cette humiliation qui avait motivé son désir de faire de l'argent. La situation de son père durant les derniers mois de sa vie et l'abandon des amis de celui-ci, avait créé une sorte de rage qui demeurera avec Pierre jusqu'à sa propre mort en 1997. Il répétait toujours ne pas vivre pour l’argent, mais pour la passion d'imposer son idée aux autres et de remporter la mise en devenant propriétaire de l'entreprise en négociation. Il devenait alors respecté et puissant. Il aimait aussi convaincre pour le plaisir. Une sorte de magicien qui savait lire dans la pensée de son interlocuteur, comprendre ses forces, ses faiblesses et surtout le séduire et l’amener à le suivre."Si tu peux découvrir la faiblesse de l'autre, tu as un atout dans la négociation. Est-ce que la personne qui est en face de toi est motivée par le sexe, la gloire ou le cash? Si tu connais cette information, tu peux offrir ce qu'il veut et avoir en échange ce que toi tu veux obtenir. Neuf fois sur dix, le truc va fonctionner et tu vas contrôler ton adversaire."
Pierre Péladeau obtenait une satisfaction physique à contrôler. La fierté d'imposer ses idées venait probablement annuler la douleur de l'humiliation
subie en 1935.
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Une douce vengeance
Un empire est né
Pierre Péladeau dirigeait, en décembre 1997 au moment de sa mort, une entreprise qui employait plus de 34 000 personnes et dont le chiffre d'affaires s'élevait à 6,3 milliards $ et le bénéfice net à 146,8 millions $. La compagnie qu'il avait créée, QUEBECOR inc., comprenait trois entités qui se complétaient au niveau des activités.
La première division, et celle qui avait été la base de démarrage de l’empire : COMMUNICATIONS QUEBECOR inc., laquelle réunissait les journaux dont le Journal de Montréal formait le point central. Les profits n'étaient pas énormes (revenus de 439 millions $ en 1996) mais la visibilité était significative.
Le pouvoir détenu par Le Journal de Montréal servait à ouvrir beaucoup de portes sur le plan des affaires et de la politique et à créer un respect autour de Pierre Péladeau en tant qu’entrepreneur.
La deuxième filiale de l'empire était la section des pâtes et papier, DONOHUE Inc. (revenus de 1,6 milliard$ en 1996). La rumeur voulait que Robert Bourassa avait fait une faveur à Péladeau en lui vendant les usines de Donohue qui appartenaient au gouvernement du Québec (356 millions $ le 20 février 1987).
Pour Quebecor, cette acquisition venait donner un élan aux activités et surtout assurer un approvisionnement régulier en papier pour les journaux du groupe.
Péladeau devenait son propre fournisseur n'ayant plus à solliciter, parfois en position de faiblesse, les autres fabricants en période de pénurie de papier.
C'est cependant la troisième entité qui avait fait de Quebecor un empire mondial. Les IMPRIMERIES QUEBECOR inc. (revenus de 4,2 milliards$ en 1996) furent d'abord constituées de quelques presses servant à imprimer les publications maison de Quebecor et l'éclosion s'était produite à partir du décès de Robert Maxwell, le 5 novembre 1991.
ROBERT MAXWELL
C’est en 1987 que Péladeau avait accepté de s’associer avec Maxwell suite à une invitation du vice-président pour le Québec de la Banque de Nouvelle-Écosse, André Bisson.
Le propriétaire du Daily Mirror de Londres (tirage de près de 4 millions d’exemplaires) se cherchait un fournisseur de papier et il voulait installer une usine en Amérique du Nord. L'association avec une entreprise canadienne était essentielle sur le plan légal pour Maxwell tandis que Péladeau trouvait lourde la dette de Donohue et il cherchait un partenaire pour partager les frais et surtout le risque. Maxwell est devenu ce partenaire après des négociations que Péladeau qualifiait de spectaculaires et qu'il racontait souvent à qui voulait l’entendre.
Les engueulades entre lui et Maxwell au Ritz de Montréal auraient été un haut fait de guerre et elles figuraient en première ligne dans les conférences que prononçait le magnat québécois. Maxwell avait accepté d’investir 156 millions $ en échange de seulement 49% des actions alors qu'il en exigeait 51%.
Robert Maxwell était un personnage plus grand que nature. Il était né en Hongrie le 10 juin 1923, ce qui le plaçait dans la même génération que Pierre Péladeau. Maxwell avait d’abord eu une carrière militaire en 1940 avec l’Armée anglaise où il s’enrôla à titre de soldat étranger. Il y a combattu jusqu’à la Libération du 4 mai 1945.
À sa naissance, Robert Maxwell avait pour nom Jan Ludvik Hoch et il fut élevé au sein d'une famille juive pauvre. Lors de l'occupation de sa région d’origine par le Troisième Reich, il parvint à s’échapper, mais sa famille fut exterminée. En obtenant plus tard la citoyenneté britannique, il changera de nom pour s'appeler Robert Maxwell.
Maxwell était fier de ses exploits dans l’armée, mais c’est sa deuxième carrière qui en fit un citoyen connu mondialement. En 1944, il s’était marié avec Elisabeth Meynard (Betty Maxwell) qu’il avait rencontrée durant la guerre, elle était infirmière.
Ils s’établirent à Londres, sa nouvelle ville d’adoption, où il mit à profit ses relations pour créer diverses entreprises de vente. Il publiera entre autres les revues scientifiques de l'éditeur spécialisé allemand Springer Verlag à une époque où il était interdit à cet éditeur de le faire en son nom propre. Profitant du succès de cette opération, il racheta en 1951 le petit éditeur Pergamon qui fut la base de son empire. Pergamon fut pour Maxwell ce que fut le Journal de Montréal pour Pierre Péladeau. Cette similitude a d’ailleurs contribué à rapprocher les deux hommes lorsqu’ils se sont rencontrés pour négocier un partenariat dans Donohue.
Dans le cas de Maxwell, c’est en opérant au niveau international dans la vente d'encyclopédies et de revues scientifiques qu’il parvint rapidement à faire fortune et à développer Pergamon en tant qu’éditeur important. Il fit de la politique, à titre de député travailliste à la Chambre des communes britannique de 1964 à 1970, mais il ne fut pas réélu. On lui reprochait ses manières brusques et arrogantes.
Maxwell inscrivit son entreprise en Bourse, mais il se querella tellement avec les actionnaires, qu’en 1969 il perdit le contrôle de la compagnie. Il se servira plus tard de sa Fondation Maxwell pour reprendre le contrôle en 1974. Par la suite, en 1981, il racheta la British Printing Company pour créer le groupe Maxwell Communications Corporation. C’est à cette époque qu’il racheta le groupe publiant le journal britannique The Daily Mirror, ainsi que l'éditeur Reed International.
En 1987, Il était à son apogée et il possédait de nombreuses participations dans diverses activités,
essentiellement dans le domaine des médias. Il agissait comme la vedette de son empire et il écrivait souvent des textes dans ses journaux, dont The Daily Mirror. Il fut même l’un des partenaires de Francis Bouygues dans le projet de privatisation de la chaîne de télévision française TF1. On dit qu’il était devenu un ami de François Mitterrand .
Tout au long de sa carrière d’homme d’affaires, Maxwell fut cependant perçu comme un dirigeant aux pratiques agressives et parfois à la limite de la légalité. Il gérait son empire selon des critères financiers douteux et il manquait de stabilité financière. De son vivant, Robert Maxwell a toujours fait taire les critiques grâce à son pouvoir dans le monde médiatique et l’art de cacher la réalité. Il était un habile menteur...
Lorsque Pierre Péladeau s’associa avec Maxwell, au printemps de 1987, ce dernier était un propriétaire de presse important et respecté, mais la situation du magnat de Londres commençait à s’effriter et à démontrer des signes de faiblesse.
C’est l'échec du quotidien The European lancé en 1990 qui provoqua la chute et força Maxwell à vendre la Pergamon au groupe Elsevier. Il profita des fonds pour racheter le New York Daily News, que Péladeau admirait, mais des journalistes se mirent à enquêter sur un possible détournement de fonds des pensions de retraite des employés de ses sociétés.
Les dirigeants de Quebecor avaient eux aussi commencé à être inconfortables, car Maxwell ne payait pas ses comptes d’achat de papier auprès de Donohue. Il disait être un partenaire et il proposait continuellement des ententes pour repousser le paiement des sommes dues.
À l'âge de 68 ans , le 5 novembre 1991, Maxwell serait tombé de son yacht alors qu'il était au large des îles Canaries. Son corps fut retrouvé flottant dans l'océan Atlantique, dévoré partiellement par les poissons. Bien que la cause officielle de sa mort soit une noyade accidentelle, plusieurs parlent de meurtre ou de suicide. Parmi les nombreuses rumeurs, on entendit celle qu'il était un agent du Mossad. Il aurait été tué alors qu'il voulait récupérer l'argent qu'il avait prêté au Mossad.
Les services secrets israéliens auraient refusé et ils l'auraient éliminé de peur que Maxwell dévoile sur la place publique de nombreuses informations secrètes.
C’était l’opinion de Pierre Péladeau à qui j’avais annoncé la mort de Maxwell. Immédiatement, sa réaction fut de me déclarer :
«Ils l’ont poussé par-dessus bord. Il jouait avec des
gens très dangereux qui ne reculent devant rien.»
Les entreprises de Robert Maxwell ne lui survécurent pas et elles firent faillite ce qui s’avéra un bénéfice pour Quebecor qui a pu ainsi racheter les actions en partenariat avec Maxwell, et ce à un prix avantageux. En 1990, les Imprimeries Quebecor s’étaient associées avec Maxwell Graphic. En 1991, lors des difficultés financières de l’empire de Maxwell, l’ensemble des activités a été fusionné au sein de Quebecor. On pourrait même avancer que c’est par cette transaction que les Imprimeries Quebecor ont pu amorcer leur essor mondial grâce notamment au rachat de la participation dans les 16 usines de Maxwell Graphics installées aux États-Unis.
Le malheur de Maxwell aura fait la chance de Quebecor !
Au moment du décès de Pierre Péladeau, les revenus consolidés des Imprimeries Quebecor atteignaient 3,1 milliards$ US (1996) pour un bénéfice net de 126,3 millions$ US et un total de 30 000 employés. En 2002, on atteindra le sommet de 40 000 employés.
Aujourd’hui, en décembre 2007, les Imprimeries Quebecor sont en grandes difficultés financières.
L’action qui a déjà été transigée à près de 40$ en 2002 se vend à moins de 2$ chacune et la dette de Quebecor World s’élève à plus de
2,4 milliards$. L’entreprise ne possède plus que 120 usines et compte 29 000 employés. Les revenus en 2006 atteignaient 6,086 milliards$ US pour un bénéfice net de 28,3 millions$. Les revenus consolidés pour les neuf premiers mois de 2007 ont été de 4,17 milliards$, comparativement à 4,47 milliards$ pour la même période en 2006. Pour les premiers neuf mois de 2007, Quebecor World a déclaré une perte nette de ses activités de 374 M$, comparativement à un bénéfice net 19 M$ pour la même période en 2006.
Quebecor inc. est devenu le roi de l’Internet par le biais de sa filiale Videotron, mais ses imprimeries sont à l’agonie. Dans un sens, c'est le retour à la case départ et le coup d'éclat qu'avait accompli Pierre-Karl Péladeau en février 1995 en France, avec l'acquisition des usines du groupe Jean Didier alors en faillite, pourrait se répéter, mais envers Quebecor.
LA MORT DE QUEBECOR WORLD
(Texte ajouté 17 janvier 2008)
Le deuxième plus grand imprimeur au monde fut l’oeuvre de Pierre Péladeau. Les imprimeries QUEBECOR WORLD ont cependant été développées par Charles Cavell, un véritable motivateur et celui qui avait été le vrai responsable de la propulsion de l’entreprise au rang des leaders mondiaux. Il s’est retiré en février 2003 après 15 ans à la direction de la filiale.
J’ai reçu plusieurs courriels de gens qui me demandent ce que penserait Pierre Péladeau s’il était encore vivant. Certains ajoutent qu’il doit se retourner dans sa tombe! (Il n'a pas de tombe, car il a été incinéré...)
Selon-moi, la seule erreur commise par la direction des Imprimeries Quebecor est de ne pas avoir vendu avant la baisse des titres et dès la perception évidente que la défaite de l’imprimerie face à l’Internet était incontournable. L’industrie de l’imprimerie est en perte de vitesse définitive et on peut conclure que ce service deviendra un élément de convergence plutôt qu’un secteur en soi. Quebecor aurait dû conserver les imprimeries pour ses journaux et ses magazines, mais se départir de ses installations ailleurs dans le monde afin de se concentrer dans le secteur Internet.
Mais un propriétaire d’entreprise n’accepte jamais de réduire son pouvoir et son prestige avant d’en être obligé et qu’il soit bien souvent trop tard. Seuls les vrais entrepreneurs acceptent d’abandonner en plein milieu de la partie et Pierre Péladeau père était de ceux-là. Il avait bien sûr été frondeur à ses débuts, mais une fois sa base financière bien en place, il n’a jamais plus tout risqué sur un projet et il n’hésitait pas à fermer rapidement une division si elle était non rentable, et ce malgré les avis parfois contraires des directeurs concernés.
Je l’ai écrit ailleurs dans ce texte (voir chapitre 4), Pierre Péladeau était une contradiction en soit, car il entretenait le mythe du preneur de risque fonceur, mais dans la réalité il avait un style très conservateur et il retardait toujours la prise de décision jusqu’à la dernière minute. Cela avait l’avantage qu’après un certain temps, 9 fois sur 10, le problème avait disparu ou il s’était réglé de lui-même. Péladeau était cependant très expéditif dans le cas d'une entreprise qui ne rapportait pas de profit, au risque de l'éliminer trop rapidement.
Dans le cas de QUEBECOR WORLD la seule solution était la vente sauf que l’entreprise ne vaut aujourd'hui plus rien sur le marché boursier! La situation rappelle celle de NORTEL.
Les entreprises commerciales sont comme des arbres. Le cycle normal de vie comprend la naissance, la croissance, la maturité et inévitablement, la mort. Le défi pour un entrepreneur est d’essayer de choisir le moment de la fin de son entreprise, mais comme on le dit dans un film de Philippe Noiret: « Il y a cent façons de mourir et on ne choisit pas toujours laquelle sera appliquée… »
LES PROJETS DE PIERRE PÉLADEAU EN TÉLÉVISION
( texte ajouté le 28 janvier 2008)
La télévision fut à un certain moment un secteur économique privilégié, car la publicité rapportait gros et le prestige d'y travailler était très recherché.
Pierre Péladeau adorait ce secteur et il voyait dans l'acquisition du réseau TQS, en 1997, un nouveau jouet. Une sorte de cadeau de fête qu'il s'était offert pour rendre sa retraite agréable. J'étais content moi aussi, car j’ai toujours aimé le média de la télévision et il m'avait promis que j’occuperais le poste de chef d'antenne au bulletin de nouvelles de TQS.
Dans une autre vie, j’avais été animateur dans une petite station en région alors que je faisais la lecture quotidienne des nouvelles à CHAU-TV en Gaspésie. C'était la belle époque! J’avais 19 ans et la société d’alors était sans prétention. C’était bien avant l’Internet (1976) et on recevait nos informations sur une sorte de télécopieur à clavier très bruyant qui était alimentée par une agence de presse à Québec. Pour la météo, je regardais à l'extérieur avant le bulletin et j'improvisais! (Le pire c’est que c’est vrai…)
Je parlais souvent de cette période avec le fondateur de Quebecor.
Pierre Péladeau voulait développer TQS en une station locale et totalement montréalaise. Est-ce qu’il aurait réussi? Probable, car il en avait les moyens financiers et il avait le sens de la convergence. Il connaissait aussi parfaitement Montréal et le secteur du spectacle. Il avait même fait de premières démarches pour embaucher Marcel Béliveau, celui qui a créé le concept de Surprise sur Prise, à titre de directeur général.
Malheusement Pierre est mort avant de pouvoir mettre ses idées à exécution. Marcel Béliveau n’a jamais été embauché, pas plus d’ailleurs que moi comme chef d’antenne…
Aujourd’hui en 2008, lorsque je passe devant les bureaux du réseau de télévision TQS, situés au 612 de la rue Saint-Jacques à Montréal, cela me rappelle beaucoup de souvenirs. Je me dis parfois que l'édifice doit porter malheur, car les deux entreprises qui y habitent (TQS et QUEBECOR WORLD) sont en graves difficultés financières, pour ne pas dire en faillite.
Le cas de TQS est plus triste encore que QUEBECOR WORLD, car il s’agit d’une petite organisation qui normalement aurait dû bien fonctionner et réussir à s’imposer dans le marché. Je ne sais pas vraiment quoi répondre lorsque l’on me demande pourquoi ces échecs financiers. Beaucoup de ce qu’avait touché Pierre Péladeau et qui s’était transformé en or devient maintenant poussière de sable. Pour ceux qui croient aux fantômes, on pourrait y voir un message de l’au-delà de la part de l’ancien magnat québécois. D'ailleurs, une photo géante de Pierre Péladeau vous regarde lorsque vous entrez dans le lobby de la rue Saint-Jacques... Mais il vaut mieux croire que c’est ainsi que va la vie. Le temps passe et avec le passage s’en vont les institutions et les créations des gens de l’époque: Bronfman, Steinberg, Hollinger, etc. Bonne chance aux nouveaux projets de 2008, car ils seront, pour un temps, les piliers de leur époque! À moins que vous préfériez les fantômes?
Note: TQS a été vendue par QUEBECOR en 2002 lors de l’acquisition du réseau concurrent TVA (Vidéotron).
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Croire en l'immortalité
Une mort annoncée
Pierre Péladeau aura vécu 72 ans (11 avril 1925 – 24 décembre 1997) et vers la fin de sa vie, même s’il ne parlait jamais de sa mort, il faisait souvent allusion à une vie après la mort.
Il demandait à ses amis de l'invoquer et de le prier une fois qu'il serait mort. Il pourrait les aider "car il aurait tout le temps du monde". Il priait souvent sa mère et il était convaincu que celle-ci l'avait aidé en de très nombreuses occasions. Il avait aimé son père Henri, mais c'est sa mère Elmire qu'il admirait et à qui il attribuait d'avoir redonné l'honneur au nom des Péladeau. Pour Pierre, le fait que les gens l’invoqueraient dans leurs prières serait un signe de respect et un peu une sorte de vengeance éternelle pour les humiliations de sa jeunesse.
Pierre Péladeau ne ménageait pas sa santé et il ne surveillait jamais son alimentation. Il nageait chaque jour, mais plutôt pour diminuer l'ennui que pour sa condition physique. Il détestait la solitude et il aimait avoir des invités à la maison. On comparait souvent sa résidence à une auberge tellement il y avait un va-et-vient de visiteurs et d’inconnus. Cela a d’ailleurs posé des difficultés pour les enfants de la famille de Pierre qui n'appréciaient pas ce manque d'intimité.
Péladeau aimait entendre constamment un bruit de fond dans les endroits où il se trouvait, comme pour le rassurer du fait qu’il n’était pas seul. Alors que nous étions en visite à Baie-Comeau où il possédait des entreprises, il entra dans le salon de l’hôtel Le Manoir et il regarda vers la télévision. Il me dit : «C’est incroyable la vie que cet appareil amène dans une pièce. J’aime entrer dans une pièce où il y a du bruit. À Sainte-Adèle, je laisse toujours la radio allumée et lorsque j’arrive, j’entends la vie dans la pièce.
Je déteste le silence. Des gens aiment ça, mais moi je n’en suis pas capable!»
Il avait été plus jeune un athlète au tennis, mais l'alcool avait considérablement endommagé son corps et il le savait. Il avait cessé de consommer de l'alcool en 1972, il l’avait remplacé par du café qu'il aimait noir, sans sucre ni lait. Il aimait le sucre, mais dans les desserts. Il se gavait souvent de crème glacée ou de tartes aux fruits. Mais il aimait son café noir!
Un jour qu'il m'avait invité pour le week-end, mon amie et moi lui avions apporté une dizaine de variétés de crème glacée Häagen Dazs. Il s'était empressé d'aller les cacher dans son congélateur en blaguant qu'on allait certainement essayer de lui les voler...
On pourrait dire que le décès de Pierre Péladeau était une mort annoncée. À plusieurs reprises, j’ai pu constater ses faiblesses physiques, mais jamais il ne voulait m’avouer son problème.
Souvent il semblait sur le point de s’effondrer et il demandait à s’asseoir et avoir un café pour le remonter.
Une fois, il avait eu une faiblesse juste avant une conférence dans un hôtel de la rive sud de Montréal (L’Association des clubs de motoneige du Québec). J’ai cru qu’il allait mourir sur place, mais il s'est repris et il m'a dit qu’il n’avait rien sauf une légère chaleur.
Une autre fois, en octobre 1995, nous étions dans l’hélicoptère en direction de Lac-Mégantic pour une conférence un samedi soir. Le pilote avait des difficultés à cause des vents forts de l’automne et les 5 passagers, tous des employés de Quebecor, avaient peur de s’écraser. Péladeau blaguait avec nous, mais j’avais remarqué qu’il sortait de sa poche, toutes les 5 minutes, une petite bouteille en plastique contenant de la nitro pour son cœur. Il refit ce geste à plusieurs reprises jusqu’au moment de l’atterrissage. Une fois au sol, il souriait et il blaguait de plus belle, mais j’avais remarqué sa peur intérieure.
Quebecor a possédé deux hélicoptères, dont un modèle très moderne (Long Ranger IV 206-L4) mais lors du voyage dans les Cantons de l’Est, nous avions encore le premier appareil qui avait été l’hélicoptère de brousse utilisé par Donohue et que Quebecor avait racheté pour l’usage de la compagnie. La machine, un BELL-IV modèle 206-B, était ancienne et l’une des portes s’ouvrait parfois lorsque nous étions en vol. Heureusement que nous avions des ceintures de sécurité…
UNE ARME À FEU
Une autre anecdote qui avait signalé le vieillissement physique de Pierre Péladeau fut l’après-midi que nous avions passé au centre de tir de la police de Montréal à l’automne de 1996.
Péladeau possédait diverses armes à feu dans sa maison de Sainte-Adèle et il s’était même fait
photographier dans le magazine Le lundi avec un fusil de chasse à côté de son lit. Il possédait aussi un vieux Luger allemand et il disait dormir avec l’arme à portée de main. Mais personnellement, je ne suis même pas certain si des munitions étaient encore disponibles pour cette antiquité. Quoi qu’il en soit, quelqu’un qui était passé dans la maison de Sainte-Adèle lui avait volé ce pistolet et il m’avait demandé de lui trouver un autre révolver pour se protéger des voleurs.
Nous voulions être dans la légalité la plus totale et nous avions demandé au chef de police de Montréal, Jacques Duchesneau, de nous aider dans le processus. Ce dernier m’avait expliqué la démarche pour obtenir un permis et il nous avait même invités à acheter l’arme auprès de l’armurier de la police qui servirait d’intermédiaire.
L’arme choisie était un pistolet pour femmes qui se glisse dans un sac à main. Une crosse en émail blanc avec un petit canon en métal d’argent dont l’appellation officielle est « Back Up DA calibre 380 ».
Jacques nous invita à venir essayer l’arme au club de tir sur la rue Wellington. Pendant que Pierre se familiarisait avec son achat, Duchesneau m’avait invité, ainsi que le pilote et une avocate que Pierre voulait engager, à essayer un vrai révolver de policier. Il commença par nous faire une démonstration de tir qui nous assura qu’il valait mieux ne pas l’attaquer.
Jacques savait tirer comme dans les films!
Le pilote, l’avocate et moi avons raté la cible…
Pendant notre séance de tir, Pierre, qui était resté dans son coin, cria à Jacques de venir, car "ça ne fonctionnait pas cette patente". Il aimait mieux son ancien Luger...
En fait, ça ne fonctionnait pas parce que Pierre Péladeau n’avait pas la force physique nécessaire pour amorcer la petite arme de main. Jacques me regarda et à voix très basse il me dit :
«Il vaut mieux que le bandit ne soit pas trop gros, car monsieur Péladeau ne lui fera pas grand mal… »
Pierre s’était senti humilié et il nous dit qu’il était satisfait de l’essai et qu’on s’en retournait au bureau. Jamais il ne parla avec nous de ses difficultés à amorcer le pistolet.
LE MOMENT FINAL
L’après-midi du 2 décembre 1997, il vint dans mon bureau avant d’aller déjeuner. Il était plutôt silencieux et il ne fit que déposer un document sur mon bureau sans vraiment discuter. Il savait qu’il avait une entrevue avec un animateur de Radio-Canada à 14 heures 30, mais il partait déjeuner à pied sans son chauffeur et il reviendrait à temps pour l’entrevue.
Vers 14 heures, j’étais au téléphone afin de terminer la liste des invités au concert de l’Orchestre Métropolitain qui était à l’affiche en soirée et auquel assisterait Pierre Péladeau.
La directrice de l’Orchestre Métropolitain, lequel orchestre était supporté financièrement par Quebecor à divers niveaux, nous fournissait des billets de courtoisie et Péladeau invitait des gens qu’il considérait intéressants et dont il aimait la compagnie. Quiconque travaille dans les relations publiques sait qu’il est toujours difficile de rassembler une liste complète d’invités et qu’il faut contacter plusieurs personnes avant d’avoir suffisamment de gens. On a même un surnom pour les individus en bas de la liste des noms, un « Joker ».
Ces « Jokers » servent de remplaçants de dernière minute en cas d’annulation d’un invité du haut de la liste. Il faut toujours avoir un ou deux jokers dans sa liste!
Ce soir là, Pierre Péladeau devait être accompagné par une amie, une Acadienne qui travaillait pour un éditeur de livres scolaires. Une vingtaine d’autres personnes seraient aussi au rendez-vous.
J’ai déjà raconté en détail, à plusieurs reprises, notamment dans mon livre de 2003 (voir lien sur le site), comment lors de cet après-midi du 2 décembre 1997, la secrétaire était arrivée en panique pour me dire que monsieur Péladeau avait un malaise. Je me suis précipité pour constater qu’il était assis immobile dans une chaise de la petite table à café de son bureau.
C’était le commencement de la fin du roi Pierre Péladeau qui serait dans le coma jusqu’au 24 décembre, moment où la famille a décidé qu’il n’y avait pas de retour possible en dehors de ce sommeil.
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Chapitre 3
La rébellion au palais
Pierre Péladeau croyait aux complots et il craignait toujours de se faire trahir par ses collaborateurs, même les plus proches. Régulièrement il vérifiait leur dévouement par des demandes spécifiques. Un jour il me demanda de lui montrer l’enveloppe qui contenait une centaine de reproductions photo que j’avais commandées pour répondre aux demandes des médias.
Il voulait s’assurer que le nombre de photos correspondait avec le nombre inscrit sur la facture. Il regarda dans l’enveloppe et il me dit qu’il voulait simplement vérifier…
Les dirigeants de Quebecor n’avaient pas beaucoup de liberté sur le plan des dépenses à moins d’être en poste dans une filiale. Mais de travailler au siège social signifiait accepter d’être sous la loupe quotidienne du président Pierre Péladeau. Les comptes de dépenses n’existaient pas et ceux qui voulaient soumettre des factures devaient le faire auprès de Pierre en personne. Plusieurs préféraient payer de leurs poches les repas au restaurant ou les memberships de golf .
Cette situation a donné lieu à une sorte d’ambiance festive après sa mort, car plusieurs vice-présidents ont commencé à aller déjeuner au restaurant. Je me souviens d’un individu en particulier qui apportait quotidiennement son lunch dans un sac en papier et qui déjeunait à son bureau. Après la mort du président, il commença à prendre ses lunchs à l’hôtel d’en face et à y inviter ses amis des autres entreprises montréalaises.
Vive le nouveau Roi !
Durant la dernière année de sa vie en 1997, certains dirigeants de Quebecor avaient commencé à parler d’un remplacement pour Pierre que l’on considérait trop vieux et moins énergique.
Il n’était pas d’accord et il organisa la réplique contre les dirigeants en question. On pourrait dire qu’il avait fait avorter une sorte de « putsch ». Plusieurs des dirigeants de la révolte avaient conclu des ententes pour quitter au début de 1998. Malheureusement, à cause de son décès, la plupart des dirigeants renvoyés ont pu prolonger leur séjour.
SE MÉFIER DE SON ENTOURAGE
Comme l’écrit Donald Trump dans son récent livre:
« En affaires, il faut vous entourer de collaborateurs, mais vous ne savez jamais à quel moment ils vont se retourner contre vous.
Vous ne pouvez jamais leur faire confiance entièrement, car si les animaux sont des prédateurs pour survivre, plusieurs humains sont méchants parce qu’ils sont jaloux et, dans certains cas, ils aiment voir les autres souffrir »
Les complots et les campagnes de salissage existent et j’ai personnellement été témoin de plusieurs situations de ce genre lorsque j’étais l’adjoint du magnat Pierre Péladeau.
Nous embauchions d’ailleurs régulièrement des firmes de détectives pour obtenir la preuve de nos soupçons et on nous recommandait de vérifier mensuellement pour des micros d’écoute électronique qui seraient installés dans nos bureaux. C'était avant l'internet. Imaginez ce que ce serait aujourd'hui?
Pierre Péladeau n’était pas le seul qui devait faire face à la trahison de ses proches. La trahison fait partie de la vie en général, mais Pierre ne faisait confiance à personne et il contre-vérifiait toujours l’information qu’on lui transmettait. Une de ses techniques était de demander une même recherche à trois personnes différentes. Il comparait le résultat obtenu et il découvrait ainsi qui lui avait menti.
Généralement, les responsables de trahison étaient ceux que l'on croyait le plus honnêtes. Parmi les complots découverts chez Quebecor, entre autres, une comptable responsable de la paye
qui fraude la compagnie, un adjoint de la famille qui investit le profit des transactions boursières de la famille dans son propre compte et pour couronner le tout, Pierre Péladeau serait arrivé un jour, sans s'annoncer, à la résidence d'une de ses amantes et il fut surpris que ce soit l'un des hauts dirigeants de Quebecor qui vienne lui ouvrir la porte... en petits caleçons.
Bref, les exemples de trahison ne manquaient pas! Quelle était la solution? "Éliminer les traîtres, lorsqu'on les découvre, et surtout continuer son chemin." disait Pierre Péladeau.
Personnellement, je lui présentais toujours les faits comme ils étaient et Pierre en était venu à me considérer comme quelqu’un qui lui était entièrement fidèle et dévoué. Je lui avais d’ailleurs fait part du « putsch » et j’avais contribué à identifier les responsables.
UN COMPLOT
J’ai cependant dû payer pour ma fidélité envers Pierre Péladeau et après son décès, j’ai immédiatement été la cible d'un complot dont le but était de m’empêcher de travailler, chez Quebecor comme ailleurs au Québec.
Je n’en aurais jamais eu la preuve si ce n’avait été d’une erreur de la part d'un employeur qui a trop parlé et qui a dévoilé le jeu de celui qui me salissait. Lorsque Pierre Péladeau est décédé le 24 décembre 1997, j’ai immédiatement, dès le 6 janvier, été remercié de mes services par le nouveau président intérimaire, Jean Neveu, qui ne voulait même pas que je sois transféré
dans une filiale. Il voulait que je quitte entièrement le giron de Quebecor. Je lui en ai demandé la raison et il a simplement dit qu’il ne pensait pas que je serais utile à l’entreprise.
On m’a annoncé mon congédiement en plein dans la crise du verglas, dès la première journée après le congé des fêtes, le 6 janvier 1998.
Pendant un moment j’ai cru que la fin du monde était arrivée. Il n’y avait plus d’électricité à Montréal et la ville était en état d’urgence, mon mentor Pierre Péladeau était mort malgré s’être accroché dans le coma pendant un mois, et je n’avais plus d’emploi malgré mon dévouement envers Quebecor et son fondateur.
Lorsque je descendais à pied, dans le noir total de l’escalier de mon édifice résidentiel en hauteur de 8 étages (les ascenseurs ne fonctionnaient plus), je me disais que l’apocalypse ne pouvait pas être pire et que c’était ça la fin de l’humanité…
J’ai cependant repris mes sens, une fois la situation de la météo et de l’électricité revenue à la normale, et j’étais logiquement convaincu que je pourrais me retrouver rapidement un autre emploi, car en tant qu’adjoint au président de Quebecor, je connaissais tout le Québec inc. et plusieurs hauts dirigeants m’avaient souvent dit au cours des dernières années qu’ils appréciaient mes qualifications. Certains ajoutaient même être mon ami !
Mais étrangement, plusieurs entrevues prometteuses finissaient toujours par un refus, sans aucune raison valable. Parfois, il me semblait remarquer les éléments d’une sorte de complot contre moi, mais sans preuve réelle. Quelques présidents de compagnie me mentionnaient qu’une rumeur négative circulait à mon sujet, dans leurs réseaux, mais personne n’apportait de précisions. J’ai finalement obtenu une confirmation incontournable alors qu’un ministre du gouvernement de Bernard Landry m’avait embauché sans que personne ne soit mis au courant en dehors du gouvernement. J’ai commencé mon emploi, mais avant la fin de la première journée,
la chef de cabinet me dit en après-midi :
«Bernard, j’ai un gros problème. Je viens de recevoir un appel téléphonique de quelqu’un de très puissant au Québec et je ne pourrai pas te garder, car sinon on va causer du trouble au ministre. Aucune raison, sinon la crainte de la personne qui a téléphoné. Désolée! »
Il était évident que cette personne en question n’en était pas à ses premières actions négatives contre moi sauf que jamais auparavant, on ne me l’avait avoué ouvertement. Pour la première fois, quelqu’un m’expliquait la raison pour laquelle il ne voulait pas, ou plutôt ne pouvait pas, m’embaucher. C'était une erreur de sa part d’avoir ainsi admis la vraie raison, mais j’avais enfin une preuve que la campagne contre moi n’était pas une création de mon imagination. J’ai engagé un détective, un ami personnel et ancien policier à la retraite de la Ville de Montréal, pour connaître l’auteur et nous avons découvert de qui il s’agissait, sauf que j’étais beaucoup moins puissant que cette personne.
La poursuite aurait été coûteuse pour moi. Plus de 10 000$ uniquement pour rassembler le dossier d’une enquête par l’agence de détectives et des dizaines d’autres milliers de dollars pour les frais d’avocat afin de défendre le cas devant un juge.
Il valait mieux attendre le bon moment pour obtenir une revanche, surtout que j’étais en recherche d’emploi. Une amie avocate a négocié une somme de 1 500$ pour ma journée de travail avec le ministre.
Comme le mentionne un homme d’affaires célèbre:
«Il faut savoir choisir ses batailles selon nos chances de les gagner!» Je me suis aussi dit que la vie se chargerait de faire payer ceux qui m’avaient fait du mal.
Le destin est parfois plus juste et plus cruel que toutes les cours de justice…
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Pierre Péladeau et Bernard Bujold - 1997 |
Pour Pierre Péladeau, les liens du sang étaient les plus importants. Il aurait aimé que tous ses enfants soient des succès en affaires et en particulier ses filles. Mais l'homme avait de la difficulté dans ses rapports avec ses enfants et il n’a jamais pu imposer son succès et ses méthodes à ses descendants.
Il devait accepter les qualités et les défauts de chacun de ses 7 enfants, ce qui n’était pas facile pour lui. De plus, les trois ainés, lui reprochaient de façon inconsciente la mort de leur mère, sa première femme Raymonde Chopin, qui est décédée en Suisse en octobre 1976 à l’âge de 47 ans. Les enfants tenaient leur père responsable même si dans les faits, il avait envoyé sa femme en Suisse à grands frais, dans une clinique de santé, pour essayer de la guérir.
Pierre Péladeau aimait beaucoup sa famille et il entretenait une étroite relation avec ses sœurs et ses frères. Il les invitait régulièrement à sa résidence de Sainte-Adèle. Je l'ai vu un jour taquiner sa soeur et jamais je ne l'avais perçu aussi heureux.
Habituellement, Pierre avait toujours une sorte de tristesse dans le regard, mais jamais lorsqu'il était avec sa soeur.
Au niveau de ses enfants, Pierre Péladeau avait beaucoup d’admiration pour Pierre-Karl. Il était beau, énergique et intelligent. Dans un sens, le père se mirait dans son fils, celui qu’il aurait aimé être.
Pierre-Karl n’a pas été accueilli à bras ouvert après le décès de son père. Je me souviens d’un dirigeant de Quebecor qui était venu me voir après l’annonce de mon congédiement et qui me dit : « Il va y avoir beaucoup de tiraillements. Pierre-Karl n’est pas prêt à prendre la direction et le conseil va devoir le mâter.
On va l’installer au 4e étage (le 13e étage était réservé aux hauts dirigeants) et il devra obéir aux ordres. Plus tard, dans 4 ou 5 ans, s’il est compétent, il pourra songer à diriger, mais on est loin de ce jour! »
J’ai répondu à mon ami que la haute direction oubliait une chose : « Les deux actionnaires qui héritent du contrôle sont Pierre-Karl et Érik ».
Ma prédiction s’est avérée exacte. En moins de 15 mois, dès le début de 1999, Pierre-Karl Péladeau est devenu président et chef de la direction de Quebecor inc.. Parmi les actions posées par Pierre-Karl, en tant que dirigeant, il faut noter l’acquisition du groupe Toronto Sun qui fut conclue en janvier 1999. L’achat de World Color Press au cours de la même année a également été un fait marquant de même que la vente de la participation de Quebecor dans Donohue, en avril 2000 alors qu’Abitibi-Consolidated devenait le nouveau propriétaire des usines.
Certains critiquent ces transactions en disant que ce sont ces décisions qui ont amorcé les difficultés financières actuelles de Quebecor. L’acquisition de Vidéotron au montant de 5,4 milliards$, en mars 2000, a forcé la compagnie à s'endetter.
Est-ce que le fils a mal géré l’héritage du père?
GARDER LES CHOSES SIMPLES
Pierre Péladeau « père » avait une seule théorie en gestion: la simplicité. Il la qualifiait de K.I.S.S. ( Keep it simple stupid). Mais au-delà de la formule humoristique,
il demeure que tous les entrepreneurs qui réussissent gardent les choses simples.
Les ventes doivent excéder le coût des dépenses et on doit obtenir un profit au bout de la ligne. Lorsque l’on commence à penser à des formules comme produits dérivés et formules mathématiques de profit à long terme, il y a un risque. Péladeau disait que l’erreur de plusieurs entrepreneurs est d’espérer faire un profit en vendant plusieurs produits à perte, mais croire pouvoir se rattraper avec le volume d'échelle. Mille pommes vendues moins cher qu’on les a payées ne pourront jamais rapporter un profit. Les Jean Coutu, Alain Bouchard, Laurent Beaudoin et André Bérard, entre autres, ont tous appliqué une formule simple pour bâtir leur empire. « Si on fait de l’argent, on continue. Sinon on sort de l’activité.»
Pierre Péladeau disait que la meilleure qualité pour un homme d’affaires est de ne pas penser, mais de vendre et faire de l’argent.
« Si tu commences à penser à ceci cela et à faire des plans sur papier pour prévoir toutes les possibilités, tu vas te ramasser avec la peur de faire quoi que ce soit. Il faut faire tourner la machine et vendre chaque produit avec un profit. C’est simple! Jean Coutu fait tourner son inventaire sans penser s’il est un grand pharmacien. Il est un « retailer ». André Bérard était un bon banquier parce qu’il savait reconnaître les prêts payants. Et lorsqu’il n’y avait pas d’argent à faire, il fermait le compte!»
Péladeau disait aussi qu’il faut savoir s’entourer. Pierre-Karl a fait un succès de Videotron parce qu’il a su mettre en place une équipe qui connaissait bien le secteur de la technologie par câble. Le développement de l’Internet au sein de la société en général aura été aussi pour Quebecor un aidant naturel et on appelle ça le « bon timing ». La réaction des dirigeants de Bell a cependant été la mauvaise en croyant que le nom et la réputation de Bell Canada allaient empêcher les consommateurs de les abandonner. Le consommateur d’aujourd’hui est comme les Coutu, Bérard et Péladeau d’autrefois : il est infidèle et il achète en fonction du prix. À service égal, le consommateur choisira le produit le moins cher, surtout si sur le plan de qualité, le service Internet et de la téléphonie est de même niveau d’une entreprise à l’autre.
Qu’est-ce qui arrivera avec Quebecor inc. d’ici les prochaines années? Rien n’est éternel et les entreprises sont comme des matières vivantes. Si l’entreprise cesse d’être profitable, elle meurt. Péladeau appelait ça la bicyclette.
« Lorsque tu roules à bicyclette, la pire chose à faire, c’est d’arrêter de pédaler… »
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Enfants et petits-enfants de Pierre Péladeau au Pavillon des Arts |
Pierre-Karl, son père et Bernard Bujold - Noël 1992 |
Pierre Péladeau n’aimait pas les compétitions sportives sauf le tennis. Il disait avoir été champion du Québec et il nous en faisait la preuve en nous montrant une photo qui avait été publiée dans l’une de ses biographies, celle de Colette Chabot.
Je suis moi aussi un amateur de tennis et en particulier le tennis professionnel alors que durant les années 1990, Du Maurier était le commanditaire du tournoi de Montréal.
Je me rappelle encore de ce dimanche après-midi, le 30 juillet 1995, alors que nous étions au Stade Du Maurier en couple, Pierre Péladeau et son amie du moment et moi avec la mienne. Nous regardions le match André Agassi contre Pete Sampras et pour une raison
inexplicable, Péladeau avait pris en grippe Agassi et il appuyait Sampras. "Agassi est un voyou avec
ses cheveux longs. Sampras va le laver!" de dire Péladeau. Sauf que c'est Agassi qui lavait l'autre...
Pierre Péladeau s'est levé à la 2e manche et il a dit ne pas aimer le match. Il rentrait à Sainte-Adèle. J'ai bien essayé de lui faire saluer la blonde d'Agassi, la belle Brooke Shield, qui était assise à nos côtés, il ne voulait rien entendre. L’amie qui m’accompagnait était renversée par sa réaction!
En 2005, la situation était renversée. Toute la foule du Stade appuyait André Agassi qui allait prendre sa retraite après le tournoi de Montréal. On voulait le voir terminer en beauté.
Malheureusement, c'est Rafael Nadal qui a gagné.
Pierre Péladeau n’était plus de ce monde, mais il est bien possible qu’il aurait pris en faveur d’Agassi, car il était imprévisible et il aimait les gens qui se battaient pour survivre.
De plus, Agassi n'avait plus de cheveux (crâne chauve) et c’est Nadal qui avait l’allure d’un rebelle.
Péladeau détestait les rebelles aux cheveux longs
LA PEUR DANS LES YEUX
Pierre Péladeau n’aimait pas perdre. Je dirais même qu’il était un mauvais perdant. Il agissait comme un enfant et il pouvait vous bouder si vous l’aviez vaincu.
Il a conservé ce trait de caractère jusqu’à sa mort.
Péladeau disait jouer pour gagner et il était convaincu que tout se décidait dans la façon de penser et de regarder l’adversaire.
« Le pire ennemi d’un homme est son impossibilité à contrôler sa peur et à savoir quand reculer et
quand avancer. »
Pierre Péladeau disait que jamais il n’avait eu peur de regarder quelqu’un dans les yeux lorsqu’il lui adressait la parole, qu’il soit un costaud menaçant ou une simple concierge.
Il racontait souvent l’anecdote de ses marches à Philadelphie (Philadelphia Journal 1977) alors qu‘il devait traverser un quartier malfamé de la ville pour se rendre à son hôtel.
« Je n’ai jamais été emmerdé par les gangs de rue. Si on m’accostait, je discutais avec eux et souvent je leur serrais la main. »
J’ai personnellement pu observer Péladeau agir de la sorte alors qu’il y avait une manifestation très bruyante en face du siège social de Quebecor. C’était en septembre 1993.
Le Journal de Montréal était en lock-out pour le renouvellement de la convention collective des pressiers et le journal était imprimé à Cornwall dans un atelier non syndiqué. On avait assisté à des actes de violence et on avait même retrouvé de la dynamite dans des casiers d’employés du Journal. L’hélicoptère de Quebecor avait été installé ailleurs pour éviter les actes de vandalisme.
Un midi, on est averti qu’une marche de manifestants va se dérouler en face du siège social du 612 Saint-Jacques. Le chauffeur était en panique et il dit :
« Monsieur Péladeau, l’heure est très grave. Il va falloir avoir une escorte policière antiémeute pour sortir du garage sinon on va se faire lyncher. »
Péladeau traita le chauffeur de peureux et il lui ordonna d’aller se cacher dans la cuisine de l’étage avec les secrétaires. Il irait manger en face, seul et à pied.
J’ai vu de mes yeux, Pierre Péladeau sortir par la porte principale de l’édifice et se diriger dans la rue directement vers la foule des manifestants comme si rien ne se passait.
Des grévistes lui demandèrent où il s’en allait comme ça.
« Je m’en vais manger. Vous devriez en faire autant…»
Curieusement les manifestants le saluaient et ils l’appelaient « Monsieur Péladeau ».
Quelques-uns lui offraient même la main que Péladeau acceptait de serrer. Un pressier qui connaissait Pierre lui donna une accolade et il lui dit :
"Ce n’est pas de votre faute, c’est votre fils Pierre-Karl qui dirige le Journal. Il est moins humain que vous. Vous devriez vous en mêler et venir négocier avec nous. On va régler ça comme durant les belles années.»
Péladeau leur dit "qu’il allait y penser, mais pour le moment, il devait les quitter pour aller à son rendez-vous, une nouvelle blonde…"
Pierre-Karl Péladeau fut, quelque temps plus tard, nommé en charge des Imprimeries Quebecor en Europe et un autre dirigeant fut envoyé au Journal de Montréal.
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Pierre Péladeau aimait ou n’aimait pas une personne et il ne cachait jamais son opinion.
Cela faisait partie de sa personnalité.
Mais ma plus cruelle découverte fut d'apprendre que plusieurs membres du «Québec Inc» détestaient et méprisaient Péladeau en cachette. Lorsqu'il était vivant, ceux qui ne l'aimaient pas avaient peur de son pouvoir financier et ils n'admettaient jamais leur sentiment publiquement. On le louangeait dans l'espoir de profiter de ses faveurs et surtout, de ne pas être la cible d'un magnat de la presse qui pouvait être très vindicatif. Une fois mort, ces mêmes gens n'avaient cependant plus rien à craindre et ils n’ont plus hésité à manifester leur dédain envers Pierre Péladeau qui avait été, selon eux, un personnage vulgaire et sans aucune classe.
Plusieurs dirigeants d’entreprises ou d’organisations m’ont souvent fait part de ce sentiment durant les mois qui ont suivi son décès. Jamais des gens de la classe moyenne, mais toujours des intellectuels et des bien-pensants. Cela m’a surpris, mais surtout profondément attristé. Même une conseillère en recherche d’emploi (Murray Axsmith) m’avait recommandé d’enlever la mention Pierre Péladeau dans mon curriculum vitae. J’avais été atterré par sa suggestion.
Bien sûr, il est normal d’avoir des ennemis et Pierre Péladeau ne se cachait pas pour afficher ses sentiments envers plusieurs personnes. Mais de découvrir qu’autant de dirigeants méprisait Péladeau secrètement, j’ai été renversé de le découvrir.
Je n’ai pas l’intention ici d’en faire un débat et j’ai plutôt choisi de vous parler de six cas particuliers, parmi les plus significatifs et très notoires, concernant des amis et des ennemis de Pierre Péladeau.
PIERRE ELLIOTT TRUDEAU
Parmi ses ennemis, il y avait l’ex-Premier ministre du Canada, Pierre Trudeau (1919-2000).
Ce dernier était un personnage très particulier et on pouvait l’aimer pour son esprit brillant ou le détester pour son arrogance. Mais dans le cas de Péladeau, sa haine provenait des années au Collège de Brébeuf où les deux hommes avaient été des confrères de collège. Il semble que Trudeau était un peu trop arrogant aux yeux de Péladeau.
Personnellement, j'ai rencontré Pierre Trudeau à quelques reprises et à chaque fois j'ai été séduit. L'homme avait du caractère, mais il était brillant. Il savait discuter et il avait un charisme qui le distinguait des autres personnes dans un groupe.
Je me souviens de trois rencontres que j'ai eues avec lui. La première était dans les années 1976 à Matane en Gaspésie. J'avais à peine 20 ans et je lui avais posé quelques questions en conférence de presse. J'avais été impressionné par l'attention et le respect qu'il m'avait accordée.
La deuxième rencontre a eu lieu bien des années plus tard vers 1995 au Stade de tennis Du Maurier (Uniprix). Trudeau était un fidèle visiteur au tournoi de tennis, mais un seul soir, le même à chaque année, le mercredi. Il était toujours l'invité de la compagnie Du Maurier et Imasco et j'avais pu le saluer dans la loge des invités VIP. Il était évidemment la vedette de la soirée et tous les gens le saluaient comme s'il était un champion de tennis.
La troisième rencontre fut quelques mois avant sa mort.
Trudeau aimait marcher et on pouvait souvent le croiser sur la rue Sherbrooke. Un jour, je vois un vieil homme remonter difficilement la rue de La Montagne. Le vieil homme me regardait sérieusement dans les yeux comme pour me signaler qu'il ne voulait pas de pitié. Nous nous sommes croisés sans dire un mot, mais il y avait eu comme une communication non verbale.
Il semblait me dire : "Je sais! Je suis vieux".
Je voulais offrir de l'aider à se rendre à sa résidence située à quelques rues en haut de la côte de la rue de La Montagne, mais je ne l'ai pas proposé, un peu par gêne et peut-être aussi par respect pour sa dignité. Quelque temps plus tard, j'ai appris son décès. Pierre E. Trudeau représentait pour les Québécois de son époque l'homme public que nous aurions aimé être ou avoir comme conjoint, si vous étiez une femme. Il était riche, il avait fière allure, athlétique, intelligent, bon père de famille et séducteur.
Selon-moi, Justin Trudeau, le fils de Pierre Trudeau, est appelé à devenir un grand politicien, car il a hérité des forces de son père. Il sait s'exprimer intelligemment et il aime rencontrer les gens. Son handicap, qui est aussi son principal atout, est son nom de famille et les accomplissements de son père qui seront difficiles à surpasser. Il est possible que Justin nous déçoive sur le plan politique, mais je crois qu'il faut donner la chance au coureur. Justin Trudeau a toutes les qualités pour être un grand politicien et selon moi un futur Premier ministre du Canada.
Je n’ai jamais confronté Péladeau au sujet de Trudeau et je respectais son opinion. Avec Pierre Péladeau, il fallait un peu appliquer l’adage de la mafia italienne.
« Mes ennemis sont aussi vos ennemis… »
On ne pouvait pas vraiment avoir une opinion favorable envers ses ennemis. Pour Péladeau c’était noir ou blanc. Pas de zone grise. On était avec lui ou contre lui! Si on était contre lui, il fallait simplement éviter de le confronter.
CONRAD BLACK
Un autre ennemi juré de Péladeau était Conrad Black.
Le cheminement de Conrad Black (63 ans) ressemble beaucoup à celui de Robert Campeau (84 ans).
Dans les deux cas, ce sont de puissants individus qui croyaient pouvoir toujours imposer leurs idées et gagner dans leurs projets.
Robert Campeau a joué et gagné souvent, mais il a perdu son risque de 1988. L'emprunt de 7 milliards $ pour Federated Stores était financé en tenant compte d'un scénario positif. Dans le cas de la hausse des taux d'intérêt, on savait déjà avant d'acheter que ce serait la faillite de l'empire Campeau. Il habite aujourd'hui dans un petit appartement à Ottawa. Péladeau connaissait Campeau et il compatissait avec sa situation.
Dans le cas de Conrad Black, il a pris le risque de s'opposer à la Justice américaine plutôt que de laisser ses jetons sur la table. Au poker on dirait qu'il a misé contre la banque! Le pari est sans retour. Il faut certes avoir confiance en sa chance, mais selon les grands joueurs, il faut toujours présumer d'un possible échec et se garder une porte de sortie.
Pierre Péladeau était ce genre de joueur prudent. Il calculait son risque et il y ajoutait toujours un scénario noir avec une porte pour sa sortie du jeu. Si le résultat était trop négatif et qu'il n’y avait aucune sortie de secours, il n’embarquait pas dans la partie. Il me répétait souvent que son empire Quebecor avait été bâti selon cette notion de prudence, et ce, malgré la légende urbaine d'un Péladeau audacieux et fonçant aveuglément. Cette légende était un autre bluff à lui...
Il n'aimait pas Conrad Black car il avait négocié avec lui dans un projet commun et il en était ressorti amer. Il considérait Black trop confiant. Il pensait la même chose de Campeau mais il avait de la sympathie pour lui contrairement à ses sentiments envers Conrad Black.
"L'affaire de Black va casser au fret... (froid)" m'avait déclaré Péladeau.
C'était en juin 1996 durant les négociations avortées pour le Toronto Sun.
L'ex-magnat de la presse Conrad Black n'est pas un idiot, au contraire, et s'il a perdu des plumes dans la poursuite de la justice américaine, même beaucoup de plumes, il s'est défendu de façon tenace. Conrad Black est un homme doté d'une intelligence supérieure et il a écrit des livres d’histoire qui sortent des rangs. Inutile de prétendre que ceux-ci ont été écrits par des "ghostwriter" car Conrad Black aime et sait écrire. C'était d'ailleurs sa marque de commerce à Sherbrooke lorsqu’il était co-propriétaire du Sherbrooke Record. David Radler gérait le petit journal local et Black s'amusait à parcourir le monde pour écrire des reportages qu'il publiait à Sherbrooke.
Personne ne les lisait localement, mais Black se faisait plaisir et pourquoi pas, car il était le propriétaire! De plus, des chefs d'État lisaient ses textes, ce qui n'est pas rien. Il en envoyait des copies directement aux attachés politiques du président Lyndon B. Johnson, lesquels furent séduits au point d'inviter Black à couvrir leur congrès à Washington.
Conrad Black peut aussi lire un livre d’histoire de quelque 1 600 pages et il se souvient de tous les détails: dates, noms, lieux, etc. C’est un phénomène, mais cela peut devenir ennuyant dans une discussion de salon. Conrad Black est un être d'exception.
Pourquoi s'est-il retrouvé le dos au mur? Probablement parce qu'il a perdu le sens de la réalité. Le pouvoir peut aveugler et le commencement de la fin des grands hommes est toujours lorsque ceux-ci commencent à se croire invincibles. Black a cru qu'il pouvait toujours gagner, mais tout bon joueur sait qu'il vaut mieux se retirer après quelques grandes victoires.
Un financier, décédé aujourd'hui, Jean-Louis Lévesque avait dit un jour à mon oncle:
"Tu sais, ce n'est pas parce que tu gagnes une fois que tu vas toujours gagner"
Conrad Black a gagné plusieurs fois dans sa vie mais il a perdu en restant trop longtemps à la table des risques. Selon moi, il se recyclera comme dans le personnage vedette du roman de Tom Wolfe: "A Man in Full". Dans ce livre, l’homme d’affaires déchu devient un leader
religieux…
LUCIEN BOUCHARD
Un autre ennemi de Péladeau était Lucien Bouchard.
Il le détestait, car il considérait avoir été trahi par ce dernier.
L'autobiographie de Brian Mulroney "Mémoires" remet en avant-scène la trahison qu'il a lui-même vécue face à Lucien Bouchard.
Je connaissais les sentiments de Brian envers Lucien, mais les nouvelles preuves dévoilées dans le livre de Mulroney m’ont permis de faire un rapprochement avec un événement que j'ai personnellement observé alors que Pierre Péladeau, subissait le même traitement.
L'événement remonte en 1996, à l'occasion du Sommet économique du Québec. Pierre Péladeau ne voulait pas faire de politique, mais il s'était laissé convaincre par le pharmacien Jean Coutu de participer au Sommet qu'organisait Bouchard pour relancer l'économie du Québec. Au début de la relation, Péladeau aimait bien Bouchard qu'il considérait comme un type sympathique et agréable. Il appréciait surtout son côté intellectuel.
L'amitié a bien fonctionné jusqu'à la fin du Sommet alors que le président des caisses populaires Desjardins, Claude Béland, a dévoilé les noms des hommes d'affaires du Québec qui prendraient la direction de divers comités de relance. Péladeau espérait obtenir celui de l’entrepreneurship, car Lucien ne cessait de lui dire qu'il était un modèle à suivre pour tous les entrepreneurs du Québec. Quelle ne fut pas sa déception lorsqu'il s'aperçut qu'il n'était pas invité sur aucun des comités "après-sommet". Il considéra l'insulte comme une trahison de la part de Lucien Bouchard.
Il ne lui parla plus, sauf une fois lors des inondations au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Il ne l'avait pas vu venir vers lui et il ne pouvait plus retourner dans la voiture. Il décida donc de le saluer, mais il me confia qu'il ne fallait jamais faire confiance à cet homme.
LES JUIFS
On a beaucoup parlé de la prétendue haine de Pierre Péladeau envers les Juifs. En fait, cela est une mauvaise interprétation. Péladeau admirait les Juifs et un psychologue industriel qui analysait mon style de gestion, après mon congédiement de 1998, me dit que j’avais toutes les tendances de la gestion juive. De toute évidence, Péladeau appliquait les principes juifs dans son style de gestion et j’en avais capté les enseignements durant mon passage à ses côtés. On me conseillait même d’offrir mes services à des entreprises à propriété juive et que de toute évidence, j’y serai très à l’aise et efficace.
Pierre Péladeau a été mal compris pour les propos qu'il a tenus envers les Juifs et ce sont des Québécois qui ont été la courroie de transmission dont le Magazine L’Actualité, alors dirigé par Jean Paré (avril 1990). Péladeau a été déstabilisé par la levée de boucliers qui a suivi le reportage de l’Actualité. Mais comment réagir lorsque vous faites un compliment qui est perçu comme une insulte? Vous êtes comme en knock-out.
Il avait voulu dire que les Juifs prenaient trop de place dans l’économie parce que les Québécois n’étaient pas assez dynamiques. Il voulait féliciter les Juifs pour leurs succès et encourager les Québécois à copier leur système.
Pierre Péladeau fut très humilié de la révolte à son égard et il n’a jamais voulu le pardonner aux Juifs.
Pierre n’oubliait pas si quelqu’un l’insultait ou l’humiliait, surtout sur la place publique.
Il rejettera les Juifs jusqu’à sa mort allant même jusqu’à demander de vérifier si les fournisseurs de Quebecor avaient des propriétaires d’origine juive…
RENÉ LÉVESQUE
René Lévesque (1922-1987) était un personnage un peu brouillon, plus ou moins proche de ses enfants et pas indépendant de fortune, pour ne pas dire sans le sou. Péladeau adorait Lévesque qu’il considérait comme un véritable ami. Il l’a souvent reçu à sa maison dans les Laurentides et il lui a procuré un emploi lorsque Lévesque en avait besoin après sa défaite politique. J’avais moi aussi connu Lévesque et nous partagions tous les deux, Péladeau et moi, la même admiration envers le personnage.
Mon amitié avec Pierre a d’ailleurs vraiment débuté en 1988 lorsque j’ai voulu mettre sur pied une fondation en l’honneur de René Lévesque et en particulier pour faire un musée de sa maison natale à New Carlisle en Gaspésie, région d’où je proviens. J’avais fait des démarches avec Corinne Côté et quelques anciens ministres, dont Yves Duhaime et Clément Richard ainsi qu’avec son ancien chef de cabinet, Jean Roch Boivin.
J’avais suggéré le nom de Péladeau comme président. Il avait été touché, mais il préférait attendre que le projet soit plus avancé. Mais nous avions vraiment établi un contact personnel et quelques années plus tard en 1991, il m’offrira de devenir son adjoint exécutif.
BRIAN MULRONEY
Pierre Péladeau considérait Brian Mulroney comme un ami et il lui avait même organisé des cocktails-bénéfice lorsque Mulroney débutait en politique. Parfois nous parlions de Brian, Pierre et moi, et jamais il n’a eu un mauvais commentaire.
Personnellement, j’ai bien connu Mulroney, car j’ai travaillé dans son cabinet en 1984 et j’ai pu voir des similitudes entre Péladeau et Mulroney.
Les gens appuient souvent leur jugement sur la valeur de Mulroney à partir de fausses perceptions.
Brian Mulroney est quelqu'un de généreux et très fidèle en amitié. Pour le connaître véritablement, il faut lire son autobiographie où il se dévoile d'une façon intime. Ceux qui le connaissent, l’aiment et le respectent.
Dans le cas du Premier ministre, son grand talent était celui de rassembleur et surtout de grand
communicateur. Vers la fin de son deuxième mandat, une sorte de fatigue médiatique s'était installée et la communication passait moins bien, mais l'année 1984 était une période d'euphorie. L'élection du 4 septembre 1984 avait procuré 211 sièges de députés sur un total possible de 282. Brian Mulroney avait su utiliser les sondages et les techniques modernes de marketing pour créer une vague de popularité à son égard. D'ailleurs, on dit que l'élection a littéralement été remportée en utilisant les médias, surtout lorsqu'il a levé son doigt à la télévision nationale devant le
Premier Ministre sortant John Turner, lors du débat télévisé, et qu'il lui a dit: "You have a choice...", en parlant des nominations politiques que les Libéraux avaient effectuées juste après le
départ de Pierre E. Trudeau.
Les années 1984 à Ottawa étaient des années d'espoirs pour l'équipe qui entourait "Brian". On voulait changer le système et gérer en utilisant les techniques de l'entreprise privée, c'est à dire, efficacité et rendement sur l'investissement. Malheureusement, le Gouvernement est un machine lourde et le Premier ministre a vite compris qu'il fallait s'adapter au système et travailler avec les spécialistes en affaires gouvernementales plutôt qu'avec des spécialistes en redressement d'entreprises privées. On ne gère pas un Gouvernement comme on gère une grande entreprise.
J'ai toujours conservé un certain contact avec Brian Mulroney bien que je ne le fréquente pas. Je le croise, une fois ou deux par année, et on se dit bonjour. Mais je l'ai toujours admiré et je l'admire encore. Il est un peu comme l'entraîneur d'une équipe de hockey qui aurait gagné la Coupe Stanley, dans ce cas-ci: l'élection de 1984.
Pierre Péladeau disait souvent être comme un entraîneur de hockey et que son équipe était Quebecor.
Il était derrière le banc et il motivait ses joueurs pour gagner. Péladeau et Mulroney se ressemblent beaucoup en ce sens qu’ils sont de grands communicateurs qui aiment diriger et s’entourer d’une équipe gagnante. Mulroney a choisi la politique et il accepta de se soumettre au bon vouloir des électeurs tandis que Péladeau voulait décider lui-même de ses actions. Il ne pouvait accepter de se soumettre à un vote populaire. Les deux hommes avaient également ce désir d’être reconnus comme des hommes honnêtes. Péladeau admettait être dur et parfois méchant, mais jamais, répétait-il, il n’avait volé 5 cents à quelqu’un. Mulroney lui aussi tient à son image et à sa réputation. Sa réaction face à l’affaire des billets de 1000$ est la démonstration qu’il n’est pas un voleur et qu’il a une conscience.
Brian a accepté de l’argent en comptant qu’il a reçu de
Karlheinz Schreiber et il a manqué de jugement
en l’acceptant, mais il était suffisamment intelligent et au courant des lois pour arrêter juste avant de commettre un crime. Il a déclaré la somme à l’impôt et rien d’illégal ne s’est produit.
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La beauté est dans les yeux de celui qui regarde.
Pierre Péladeau ne se considérait pas laid et s’il le pensait, jamais il ne l’avouait.
Il aimait la femme pour l’ensemble de ce qu’elle représente, physiquement et intellectuellement. Il n’aimait pas une femme trop provocante et toutes les femmes dans sa vie avaient une certaine retenue et toujours de la classe. Même chez les hommes, il appréciait le bon goût, la propreté et l’élégance.
Pierre Péladeau a été marié trois fois.
Son premier mariage avec Raymonde Chopin, le 24 mai 1954, n’était pas une alliance d’amour, mais il voulait faire plaisir à son beau-père, le Dr Chopin qui avait investi dans l’imprimerie du Journal de Rosemont. Raymonde était une belle femme, mais Pierre n’avait pas eu le coup de foudre contrairement à sa femme qui admirait Pierre. Le couple aménagea voisin de sa mère Elmire et si Pierre était amoureux de quelqu’un, c’est de sa mère. Il avouera lui-même cette situation plus tard à la fin de sa vie. La relation de protecteur que jouait Pierre avec sa mère en vint même à créer des problèmes dans le couple et l’épouse devint jalouse de la belle-mère…
Raymonde était une artiste qui aurait pu avoir une belle carrière en chant, mais elle devint plutôt une épouse possessive du jeune entrepreneur à succès qu’était Pierre. Leur maison était richement meublée et Raymonde collectionnait les œuvres d’art de peintre comme Modigliani et Chagall.
Le couple a eu quatre enfants que sont, Érik ( 24 mars 1945), Isabelle (12 septembre 1958), Pierre-Karl (16 octobre 1961) et Anne-Marie ( 29 avril 1965).
Le deuxième mariage de Pierre Péladeau fut avec Line Parisien. Elle lui avait été présentée par une autre amoureuse de Pierre…
L’affection s’était immédiatement développée entre les deux, car Line était orpheline de père et elle retrouvait chez Pierre l’homme fort et protecteur qu’elle recherchait. C’est elle qui aurait demandé Pierre en mariage, lequel fut célébré un 24 mai, comme le premier mariage, cette fois en 1979. Le couple a eu deux enfants : Esther (13 juin 1977) et Simon-Pierre
(24 décembre 1978). Pierre et Line ont divorcé en 1985.
Le troisième mariage de Pierre Péladeau ne fut jamais officialisé et il s’agit de l’union avec Manon Blanchette, ancienne directrice au Musée d’art contemporain de Montréal. Le couple a donné naissance à un fils, Jean (22 janvier 1991).
Pierre Péladeau a toujours eu beaucoup d’aventures amoureuses et il a toujours déclaré n’avoir jamais été fidèle à aucune une femme, sauf à sa mère.
Il faut mentionner que lorsque l’on a de l’argent et du prestige, souvent ce sont les femmes qui s’offrent et font les avances. Péladeau a été riche dès le début de sa quarantaine dans les années 60 et il était une vedette au sein de la communauté montréalaise. Il frayait aussi avec le milieu du spectacle et des artistes, un secteur plus libéral que certains autres.
L’époque était aussi très libertine.
HISTOIRES DE FEMMES
Vers la fin de sa vie, pour Pierre, une « date » signifiait une invitation à un concert de l’Orchestre métropolitain ou un week-end dans sa maison de Sainte-Adèle. Celles qui croyaient être
invitées à New York déchantaient rapidement. On pourrait dire qu’il aimait les « cheap date », ce qui n’était évidemment pas le cas lorsqu'il avait été plus jeune, mais le vieillissement apporte aussi la sagesse et une certaine fatigue!
Mais plusieurs femmes aimaient ce genre d’attention.
Je l’ai déjà écrit, il avait à la fin de sa vie pas moins de sept relations amoureuses, mais aucune en exclusivité. Il ne cachait pas qu’il avait plusieurs femmes avec qui il entretenait une relation et chacune savait quand ne pas déranger. Chacune avait comme son temps de la semaine ou du mois et les rencontres
étaient récurrentes, à condition de bien se conduire!
Une seule croyait être la femme de sa vie et elle se rendit à l’Hôtel-Dieu où Pierre était dans le coma afin de lui parler. Elle aurait dit à l’une des filles de Pierre (Isabelle), qui ne voulait pas la laisser entrer dans la chambre, qu’elle était son amoureuse.
La fille de Péladeau aurait répondu :
« L’une de ses amoureuses. »
-Non la seule! Je suis la femme de sa vie!
« Vous avez quel âge pour croire ça madame. » lui rétorqua Isabelle.
Pierre Péladeau n’accordait jamais l’exclusivité à une femme et il considérait que c’était son droit de pouvoir recevoir l’amour et l’affection qu’il pouvait trouver. Il était cependant fidèle dans son amitié. Il voyait plusieurs femmes, mais il les aimait et il les respectait toutes. Il fallait juste savoir quand c’était le tour d’une autre et pas le sien… Parfois il avait un sens de l’humour particulier. À une occasion, il invita deux de ses amies féminines à un événement public et il poussa l’audace à les présenter l’une à l’autre. Personne n’était naïf et les deux ont décidé de le laisser en plan seul sur place sans chauffeur, car il était venu en voiture avec l’une des amoureuses. Il a dû en appeler une troisième pour lui demander de venir le chercher et le reconduire au condo qu’il conservait en ville.
Il invitait souvent les femmes pour leur simple compagnie, car il détestait la solitude. Mais Péladeau ne forçait jamais une femme à avoir une relation sexuelle. Il demandait ou acceptait «les avances», mais jamais il ne forçait. Il me l’a dit et j’ai pu aussi le constater en personne lorsque des femmes me parlaient de leur relations avec lui. J’étais souvent le confident des amantes…
JEUNE FILLE AUDACIEUSE
Quelques fois, on a essayé de passer par moi pour se rendre à Pierre. Malheureusement pour ces femmes, il gérait lui-même son agenda social concernant ses amies féminines et même sa secrétaire personnelle n’était pas au courant de tous ses rendez-vous galants.
Je me souviens d’une étudiante, une jeune fille dans la vingtaine qui voulait obtenir un emploi d’animatrice à la télévision TQS que nous venions d’acheter (avril 1997). La jeune fille était venue rencontrer Péladeau qui l’avait reconduit dans mon bureau… le signal fatal. Cette jeune fille me recontacta à quelques reprises pour s’informer du cheminement de son offre d’emploi et un après-midi elle me déclara au téléphone qu’elle voulait absolument travailler chez TQS et qu’elle était prête à compenser. Je lui ai demandé qu’est-ce qu’elle voulait dire?
« Compenser, faire profiter de mes charmes… » dit-elle.
Je lui ai expliqué que ce n’était pas la façon de procéder et que je ne pouvais rien faire pour elle, mais que sa demande était bien dans le système. J’ai toujours pensé qu’elle avait une machine enregistreuse et qu’elle voulait me prendre en chantage, mais je ne m’embarquais jamais dans ce genre de pots-de-vin, même si j’en ai souvent eu l’offre et l’occasion. Quelques mois plus tard, j’ai trouvé comique de voir cette jeune femme animer une chronique durant une émission à TVA…
Toutes les femmes à qui j’ai parlé de Pierre m’ont toujours dit qu’il était séducteur et audacieux, mais si la femme lui disait non, il reculait. Il pouvait aussi admirer une femme qui lui disait non.
Cela devenait alors un défi. Je l’ai vu agir ainsi à quelques reprises. Tout dépendait de la façon par
laquelle il s’était fait dire non.
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Pierre Péladeau lors de son anniversaire du 12 avril 1996 avec une actrice en personnage de Marilyn Monroe |
De l'imprimerie à l'Internet L'avenir de l'empire
Pierre Péladeau avait commencé à apprendre les rudiments de l’internet et, quelques mois avant sa mort, il recevait un professeur privé dans son bureau une fois par semaine pour lui enseigner le fonctionnement de l’ordinateur. Il aimait le concept, mais le seul problème était que le 13e étage, là où il avait son bureau, n’était pas câblé. Il lui fallait descendre au 10e étage où son fils Érik avait installé les terminaux de Quebecor Multimedia, une filiale expérimentale et dont le capital de risque avait été fixé à quelque 20 millions$ pour faire des acquisitions dans le secteur des technologies Internet.
Il est intéressant de noter que lorsque Pierre-Karl Péladeau est revenu de Paris, après le décès de son père en décembre 1997, il ne connaissait pas beaucoup l’Internet. On dit même que c’est sa secrétaire qui devait envoyer ses courriels. Et dire qu’aujourd’hui il est le roi de l’Internet au Québec.
RUPERT MURDOCH
Mon ancien patron Pierre Péladeau se comparait souvent à Rupert Murdoch. Il aimait les journaux en papier comme Murdoch.
En 2007, on peut remarquer une grande ressemblance entre les deux empires que sont News Corp et QUEBECOR. Le magnat Rupert Murdoch a récemment conclu la transaction d'achat
de The Wall Street Journal et il a nommé les nouveaux dirigeants. Mais ce qui retient l'attention est la nomination à Londres du fils de Rupert Murdoch, James, qui devient le grand patron de toutes les activités du groupe en Europe et en Asie, ce qui le place en ligne pour remplacer son père.
On remarque dans les deux cas, Quebecor et News Corp, que c’est le fils qui succède au père et que l’empire fait une transition vers l'Internet. James a fait ses preuves à Londres avec BSkyB, le réseau de télévision par câble.
Pierre Péladeau me raconta avoir rencontré Murdoch une fois en personne. Il disait l'avoir croisé un jour à New York dans un congrès d'imprimeurs et il lui avait serré la main, mais sans plus.
Il aurait aimé lui parler de projets, mais ils étaient dans un cocktail de congrès. Murdoch possédait plusieurs journaux et Péladeau venait d'acquérir Maxwell Graphic aux États-Unis (1990). Pierre Péladeau me confia qu'il admirait Murdoch et que si on voulait le comparer à un autre magnat, il trouvait que Murdoch lui ressemblait le plus au niveau de la vision et de l'esprit d'entrepreneur. Il me demanda même d'aller lui acheter la biographie de Rupert. (Murdoch par William Shawcross). Il voulait s'en servir comme entrée en matière lors d'une deuxième rencontre éventuelle.
Personnellement, je suis très content que Murdoch ait remporté son offre d'achat pour Dow Jones. On dit que plusieurs employés sont inquiets! Je suis un lecteur assidu du The Wall Street Journal depuis 1980 et j'ai lu plusieurs biographies sur Murdoch. Je crois qu’il fera un excellent propriétaire.
La création du Wall Street Journal a été l'oeuvre de deux jeunes personnes en 1882: Charles Dow (31 ans), et Eddie Jones (26 ans). Il y avait un troisième homme, un investisseur silencieux, Milford Bregstresser. Dow travaillait derrière le bureau et Jones était le plus souvent dans le bar de l'hôtel avoisinant pour obtenir les nouvelles du jour. Le concept était celui d'un bulletin d'information distribué à une centaine de courtiers au centre-ville de New York. Le bulletin a progressé et il est devenu un journal en 1889 pour être acheté en 1902, par un homme d'affaires, une sorte de Murdoch de l'époque, Clarence Walker Barron. C'est sa femme, Jessie, qui siègeait au conseil d'administration.
Sa fille adoptive, Jane a marié Hugh Bancroft, de là l'héritage des Bancroft d'aujourd'hui. Ce que Murdoch vient de faire, c'est un peu ce qu'avait fait Barron au début du siècle.
LeStudio1.com est largement inspiré des chroniques quotidiennes de The Wall Street Journal et en particulier de la page une: "What's News". Des nouvelles brèves, mais complètes.
J'ai découvert ce journal dans les années 1980 alors que celui-ci fêtait son centenaire. J'ai même visité les bureaux du 15 Wall Street à New York. La formule du journal est unique et n'a jamais pu être copiée par les autres journaux.
FACEBOOK ET MYSPACE
Il est difficile de dire comment aurait réagi Pierre Péladeau face au phénomène de l’Internet moderne avec les Facebook, IPOD et MySpace. Il aurait probablement aimé, car il était un homme de son temps.
Selon des sondages, même le sexe et la bière arrivent derrière Facebook sur le plan de la popularité auprès des populations étudiantes. Pierre aurait compris ce phénomène...
Plusieurs personnes que je connais sont membres de Facebook dont mes deux enfants ainsi que plusieurs amis. Cela nous permet de mieux garder le contact qu'avec un courriel conventionnel ou le téléphone.
Facebook doit être efficace, car il y aurait entre 24 et 30 millions de membres. Le système a été fondé qu'en février 2004, par un étudiant de l'Université Harvard. Au départ on voulait simplement relier les étudiants du campus. L'idée a débordé et le système est rapidement devenu un réseau social mondial. On évalue aujourd’hui à 15 milliards $ la valeur potentielle des actions de Facebook. L’évaluation est faite en fonction des investissements privés pour l’achat de 1% de Facebook par Microsoft contre une somme de 260 millions.
LES JOURNAUX PAPIER
L'avenir des journaux papier est sans aucun doute menacé d'importants changements. En fait, c'est le papier qui est au centre du débat. Le premier signe de cette transformation fut d'abord la réduction dans la taille des grands journaux. On est passé au format tabloïd tandis que ceux qui étaient déjà en tabloïd devenaient encore plus petits. Ensuite, tous les groupes de presse ont mis en ligne des sites internet malgré leur réticence face à cette nouveauté. Cela démontre qu'ils cèdent devant les pressions de la vague Internet.
De plus, ces sites sont bien souvent un complément pour les éditions papier.
Enfin, depuis quelques années, les journaux gratuits sont la nouvelle tendance. Au départ de présentation plutôt simpliste, il semble cependant que les lecteurs adorent ce format.
Je suis moi-même surpris d'entendre des gens que je qualifierais de "snob" avouer être heureux des informations obtenues grâce à ces journaux de métro. Ces journaux sont des sites Internet sur papier. Des nouvelles brèves et des photos.
La société moderne bouge vite. Ce qui est vrai aujourd'hui dans le monde des communications ne le sera plus dans un an. La nouvelle technologie nous surprendra et elle est impossible de la prédire. Certains avancent l'idée d'un journal sur carte mémoire.
Une seule certitude: nous vivons une révolution!
L’AVENIR DES MÉDIAS
C’est à partir de Montréal que le fils de l'ex-magnat de la presse écrite, Pierre-Karl Péladeau, est en train de transformer l'industrie de la télévision canadienne. Ce défi aurait plu à son père qui déclarait souvent que ses plus beaux moments de vie avaient été passés durant ses participations dans des studios de télévision à titre d'invité.
Je me souviens même qu'un jour, alors qu'il venait d'acquérir le réseau de télévision TQS, quelques mois avant sa mort, il me dit:
"C'est comme si je rajeunissais de 10 ans avec cet achat. Nous allons avoir bien du plaisir." Il avait rêvé de Télé-Métropole, mais il avait reculé, car le prix de vente était trop élevé. Son fils l'a acheté plus tard dans une transaction qui aurait rajeuni son père de 20 ans! Le fils Péladeau contrôle aujourd'hui non seulement l'un des plus grands journaux montréalais, mais aussi la station de télé et tout le réseau de distribution Internet de Vidéotron.
Curieusement, la station de télévision TQS que Pierre Péladeau avait achetée est sous la protection de la Loi de la faillite. (Décembre 2007 - voir texte chapitre 1)
Le dernier des éditeurs indépendants de magazines à grand tirage au Québec, Claude J. Charron, demeure convaincu qu'il y a un avenir dans le papier. Pour le prouver, il investit dans divers projets dont la base est sur papier. Interrogé quant à sa motivation, Charron répond que ce n'est pas une compétition contre les autres médias qui l’inspire, mais plutôt une poursuite vers des objectifs personnels, soit celui de voir le résultat de son travail sur du papier. Selon lui, un média doit refléter l'âme de celui qui le fait et ensuite c'est au public de l'aimer ou non.
"Un éditeur échouera s'il fait son magazine uniquement pour compétitionner les autres". Pour Claude J. Charron, produire un magazine c'est aussi comme chanter une chanson.
Personnellement, je continue de lire The Wall Street Journal sur papier malgré qu’il soit accessible sur Internet. Je lis aussi Paris Match en format papier, car je trouve la version l’internet moins personnelle et trop réduite. Mais je suis aussi un fidèle adepte de sites comme Facebook, Yahoo, Dow Jones, The New York Times et plusieurs autres. J’ai également créé le site LeStudio1.com comme une sorte de plate-forme sociale.
L’avenir offre une place pour plusieurs genres de médias, qu’ils soient en papier ou virtuels. Il faut juste aimer ce que l’on fait et comme disait le chansonnier québécois Jean Lapointe:
"Chante-la ta chanson.
QUI EST UN JOURNALISTE?
La question de l’heure, autant au Québec qu’ailleurs dans le monde :« Qui est un vrai journaliste ? Est-ce que celui qui a un blogue est un journaliste a même titre que celui qui écrit pour un média conventionnel?»
Pierre Péladeau disait qu’un bon journaliste est quelqu'un qui peut faire passer son message. Il détestait les gens qui se limitent par des structures trop sérieuses et il savait reconnaître le talent. Pour lui, un grand journaliste devait pouvoir s'exprimer clairement. Il considérait que Jacques Beauchamp était un grand journaliste tout comme René Lévesque. Dans l’esprit de Péladeau, la communication devait aussi être locale si on veut intéresser son public. Je lui produisais une revue de presse quotidienne et un jour j’ai commencé à y inclure des textes concernant la politique internationale. Il surgit dans mon bureau immédiatement et il me dit: « Ces sujets internationaux, enlève-moi ça de la revue de presse. Tout de suite!»
Avec l’Internet, la communication a subi une véritable transformation et cet outil a réduit le monde à un grand village. Le monde est devenu un village global. L'international est devenu local, mais le débat se poursuit toujours quant à vraiment déterminer la façon d'exploiter Internet selon son véritable potentiel. Local ou International? Voilà la question.
Si cela peut être considéré comme une indication, Facebook, qui est plus local que MySpace, devient de plus en plus le favori des internautes.
Notre époque est comparable à celle de Gutenberg qui avait inventé l’imprimerie. D’ailleurs, on dit que les deux catégories de sites Internet les plus fréquentés actuellement sont les sites religieux et pornographiques. Des sujets on ne peut plus locaux!
C'est justement la religion qui avait permis à l’imprimerie de se développer. Les religions, qui ont longtemps dirigé le politique, ont connu leur essor lorsque l’on a pu faire circuler les textes saints.
Au Québec, le débat autour du statut de journaliste est relié à la reconnaissance d’une sorte de statut officiel. L’association regroupant plusieurs journalistes semble vouloir se réclamer un droit de déterminer qui est ou non « journaliste ».
Claude J. Charron comparait le journalisme à la chanson. Peut-on empêcher un chanteur de chanter sinon cesser de l’écouter s’il est mauvais et qu’il ne sait pas chanter?
Croire à un statut de journaliste c'est comme vouloir décider qui a le droit de chanter ou d’écrire. Il faut réentendre la chanson de Félix Leclerc : « CONTUMACE ».
Lorsque j’ai débuté en journalisme, en 1976 à l’Assemblée nationale du Québec, René Lévesque, qui était Premier ministre m’avait dit : « Le journalisme c’est la démocratie pure et sans démocratie, il n’y a pas de liberté. Il faut aussi une vocation pour être un bon journaliste sinon on devient un simple ouvrier... »
On ne peut pas apprendre à faire de la politique ni à être journaliste comme on devient plombier ou menuisier. Il faut avoir la vocation!
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Pierre Péladeau -1995 |
Pierre Péladeau disait qu’il faut rêver et surtout réaliser ses rêves! Personnellement, j'ai eu la chance de réaliser plusieurs de mes rêves et l’un d'eux était celui de travailler avec Pierre Péladeau. Le hasard joue toujours un rôle important dans le résultat final de la vie, mais au départ il faut rêver.
"Si on ne rêve pas, rien ne s'accomplira et on n'ira nulle part. Il faut donc penser à des projets et souhaiter pour le mieux. » répétait souvent Pierre.
ÊTRE UN ACTEUR DE SA VIE
Pierre Péladeau était un acteur et il aimait avoir un public. Son rêve était d’être applaudi par la foule.
Si j’avais à le comparer à une autre personnalité québécoise, je dirais qu’il était comme Jean Chrétien. Les deux se sont développé un rôle de «petit gars du peuple», mais ils étaient des intellectuels.
J'ai rencontré Jean Chrétien à quelques reprises durant sa carrière politique et j’ai même eu l’occasion de travailler avec lui à une occasion alors qu'il était le conférencier invité à un événement pour lequel j'étais responsable des communications. C'était à Ottawa dans les années 1990.
Je me souviens de lui avoir demandé si son discours serait intéressant? Je sais, c'est une question idiote, mais je voulais me montrer sympathique! Chrétien me sortit une coupure du magazine Reader's Digest qu'il avait dans sa poche de chemise et il me dit: "Ça va dépendre de la foule. Si elle répond, je vais en mettre, mais on va voir. C'est la foule qui va décider. Ça peut durer 5 minutes comme ça peut durer 1 heure. "
Il avait parlé presque une heure et il avait sorti son petit bout de magazine pour le montrer aux congressistes. Un grand orateur qui était aussi un acteur. Il savait lire la foule et s'amusait avec elle comme un chanteur sur la scène.
Pierre Péladeau était comme Jean Chrétien et il aimait parler à son public. Il écrivait cependant ses discours, car il n’avait pas la vivacité d’esprit pour penser sur ses pieds comme le font les avocats. Péladeau devait réfléchir à ce qu’il voulait dire.
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Pierre Péladeau n’était pas sans faute, car personne n’est blanc comme neige.
On dit qu’il aurait même commis des gestes qui auraient pu le conduire à la prison si les autorités l’avaient su. Mais cela ne s’est jamais produit. Il racontait lui-même, à la blague, l'anecdote de l'époque où il avait vendu de la bière lorsqu'il gérait le terrain de tennis à Outremont sans que les policiers installés juste à côté ne réussissent jamais à l'attraper.
Péladeau aimait provoquer l’autorité, mais jamais
au-delà de sa chance et il savait reculer devant le danger. S’il provoquait, il était aussi assez intelligent pour ne pas s’acharner. Il savait quand s’arrêter!
Il n'y a pas une semaine sans que les médias ne dévoilent que nos croyances sont erronées. Une vedette de notre société est accusée d'un crime quelconque. Une personne est un jour le pilier de sa communauté et elle devient subitement un symbole d'échec le lendemain. Celui ou celle que l'on croyait être notre allié est dans les faits notre ennemi et il nous déteste profondément. Mais comme dit une amie à moi, ce serait une guerre perpétuelle avec nos voisins ou collègues si on apprenait sur le champ tous les divers crimes, mensonges et trahisons qui nous entourent.
Il vaut donc mieux ne pas les connaître et apprendre à apprivoiser les côtés noirs de la vie, comme les bons côtés, à petites doses et découvrir au quotidien notre lot de joie et de déception.
Plusieurs personnes de renom me demandent souvent de leur raconter de possibles scandales impliquant Pierre Péladeau. Certains sont allés jusqu'à me confier certains secrets qu'ils connaissaient. Un policier, qui semblait savoir des choses, m’a même expliqué que parce qu’il était mort et qu'il était admiré par le peuple québécois, il est probable que les autorités étouffaient des affaires concernant Péladeau. Pourquoi détruire une icône qui est morte, mais qui continue d’inspirer le peuple? Lorsque la population déteste quelqu'un, on peut se servir de secrets pour obtenir des gains en popularité, mais autrement, être un messager de mauvaises nouvelles concernant quelqu’un qui est une icône n'est jamais très payant, surtout après son décès.
Pierre Péladeau fait partie de l'histoire du Québec au même titre que les Maurice Richard, Félix Leclerc ou René Lévesque. Il est le premier francophone dont le succès financier s'est imposé au-delà des frontières habituelles. L'establishement était peut-être jaloux de son succès, comme certains artistes et experts jalousaient Félix, mais Pierre Péladeau est aujourd'hui l'idole d'un peuple.
Je n’ai donc pas l’intention de vous dévoiler les scandales que Péladeau aurait pu commettre. À quoi bon détruire une idole qui fut mon ami?
Je vous donnerai plutôt quelques commentaires face à des situations qui existent encore aujourd’hui et qui sont devenues, dans certains cas, des scandales…
LES SCANDALES
SPORT, SEXE ET SANG
On dit que Péladeau favorisait le journalisme jaune, c’est-à-dire « sport, sexe et sang ». Peut-être au début de sa carrière, mais à la fin il se ralliait aux décisions de ses directeurs. Je me souviens d’un projet de magazine à caractère sexuel. Il croyait qu’il y avait un créneau pour un magazine sur les relations sexuelles. Il voulait aussi publier des livres pratiques sur le sujet. Il m’envoya quelques auteures « du genre érotique » qui me présentèrent leurs manuscrits, certains avec photos, mais ça bloquait au niveau des dirigeants en filiales. Pierre ne força pas la note et
il abandonna l'idée.
GUY CLOUTIER
Pierre Péladeau détestait Guy Cloutier et je crois qu’il le savait pour Nathalie Simard. Pas les abus comme tels, mais la relation sexuelle consentante avec l’artiste. Puisqu’il possédait Échos Vedettes, le milieu artistique n'avait pas de secret pour lui.
Il m’a souvent dit que Cloutier était sans conscience et qu’il savait des choses à son sujet qu’il préférait ne pas me dévoiler.
Il avait travaillé très étroitement avec ce dernier au début de la carrière de l’imprésario, mais il s’en était éloigné vers 1990, en mentionnant comme raison une affaire d’avance sur ventes de disque que Cloutier ne voulait pas rembourser à Quebecor. Mais la vraie raison était plus profonde.
Il avait même donné des consignes afin d’interdire, dans la mesure du possible, les reportages au sujet des divers projets artistiques de Guy Cloutier dans les journaux de Quebecor. Cela a d’ailleurs posé problème lorsque Quebecor a acheté Archambault Musique puisque Archambault avait plusieurs collaborations en cours avec Cloutier. Péladeau s’est laissé convaincre d'oublier son embargo, mais uniquement à cause de l’ampleur de la transaction et de sa signification pour Quebecor.
PRÊTS D’ARGENT AUX ARTISTES
Pierre Péladeau a souvent prêté de l’argent à des artistes dans le besoin.
Il s’attendait à une sorte de reconnaissance de la part de ces derniers et dans la mesure du possible, au remboursement de la dette.
Il prêtait encore de l’argent quelques mois avant sa mort et souvent c’est moi qui recevait les demandes de prêts que je lui transmettais. Il me retournait celles qu’il ne voulait pas appuyer et il conservait uniquement les lettres des gens qu’il aidait.
D’ailleurs nous avions établi une consigne. S’il venait dans mon bureau accompagné de gens et qu’il me les présentait en disant :
« Monsieur Bernard occupez vous de ces gens.», cela signifiait que je devais trouver une excuse pour que Quebecor ne les appuie pas. Lorsqu’il appuyait un projet, il venait me voir seul en disant de faire
un chèque.
Souvent les gens qu’il aidait considéraient l’aide comme un dû. Cela me choquait et je le mentionnais à Péladeau qui me répondait qu’il n’était pas naïf.
Je me souviens d’une grande vedette québécoise dont l’enfant était également une artiste. Péladeau m’avait interdit d’inviter ces deux personnes (fille et mère) à tous les événements qu’il organisait, comme son Pow Wow annuel, ou encore à son Pavillon des arts. J’étais surpris
d’une telle interdiction et je lui en ai demandé un jour la raison?
« J’ai prêté 10,000$ à sa fille et elle ne m’a jamais remboursé une fois qu’elle a fait de l’argent et qu’elle pouvait me payer. Cette personne n’est pas fiable » me dit Pierre.
J’ai été choqué lorsque Pierre Péladeau est décédé et de voir cette même personne devenir très proche de l’empire Quebecor et de s’afficher comme étant une grande amie du fondateur. Je savais le contraire…
RENÉ ANGÉLIL
Il était jaloux de René Angélil et je crois qu’il aurait aimé connaître son succès en tant qu’imprésario. Il avait d’ailleurs débuté dans ce domaine, mais il avait dû abandonner lorsque ses artistes n’étaient pas rentables. C’est par la suite qu’il acheta le journal de Rosemont qui était pour lui une façon honorable de gagner sa vie, mais ce n’était pas sa passion.
LES CADEAUX
Pierre Péladeau recevait des quantités de cadeaux. Il en conservait très peu et il les redonnait, soit à ses amis ou à ses employés ou encore il les mettait en vente dans ses encans-bénéfice comme celui d’Ivry-sur-le- Lac. (Pavillon d’aide contre la dépendance à l'alcool et à la drogue)
Des toiles d’artistes peintres plus ou moins connus, des pièces d’artisanat et surtout des fleurs. Il recyclait les fleurs en les apportant à des malades qu’il allait visiter ou il les offrait à ses blondes…
PAUL DESMARAIS SR.
Pierre Péladeau admirait Paul Desmarais mais il ne pouvait pas accepter ni comprendre que ce dernier soit respecté par l’establishment financier alors que lui, il était souvent considéré comme un peu bouffon et manquant de classe! Pourquoi? Paul Desmarais pouvait être aussi rude et vulgaire que lui. « Qu’est ce que Desmarais fait et que je ne fais pas? » demandait-il souvent. Il enviait aussi les liens familiaux solides qu’avait établis Desmarais avec ses fils.
LE POUVOIR DU MAGNAT DE LA PRESSE
Pierre Péladeau ne pouvait pas vraiment empêcher un journaliste d’écrire sur un sujet à cause du syndicat. Mais il pouvait suggérer des reportages qui n’auraient jamais été choisis par le chef de pupitre. C’était une forme d’aide de sa part envers des gens ou des causes qu’il considérait valables.
Pierre Péladeau - 1991 |
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La vie est comme une pièce de théâtre et Pierre Péladeau se disait un acteur. Il avait inventé sa vie et le public avait bien répondu.
Personne n'est aussi bon ni aussi mauvais que l'on croit et Pierre le savait. Il a été un individu chanceux, qui avait une détermination et qui travaillait fort lorsque nécessaire.
J'aime beaucoup cette phrase du théâtre de Shakespeare que j'applique à Pierre Péladeau:
"Il existe une vague sur l'Océan de la vie, laquelle si elle est prise au bon moment au rivage conduira le navire vers des terres nouvelles et remplies de promesses."
À la fin de son voyage, Pierre Péladeau disait avoir réalisé tous ses rêves sauf celui d’être heureux. C’est un énoncé cruel, mais il le répétera quelques mois avant sa mort lors d’une entrevue
avec Pierre Maisonneuve de RDI (Radio-Canada) :
« J’ai réussi dans la vie, mais j’ai échoué ma vie… »
Le navire de Pierre Péladeau a connu un voyage captivant et il a affronté plusieurs tempêtes
et réussit plusieurs conquêtes. Il est aujourd’hui de retour et ancré dans le port des souvenirs.
Il a le repos bien mérité du grand voyageur qui fut un leader et une inspiration pour les siens.
PIERRE PÉLADEAU CET INCONNU- par Bernard Bujold - Partie 1 Publication numérique - PDF - Septembre 2023 Dépôt légal Bibliothèque et Archives nationales du Québec Numéro ISBN: 978-2-9821799-8-1 |
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